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Interview

Marine Brenier : «Les concessionnaires d’autoroutes ont été favorisés au détriment de l’intérêt général»

Pour la députée LR Marine Brenier, non seulement l’Etat a signé des contrats défavorables en 2006, mais il les a aggravés en 2015.
par Tonino Serafini
publié le 31 janvier 2019 à 20h26
(mis à jour le 1er février 2019 à 14h46)

Députée LR, conseillère municipale de Nice, Marine Brenier a déposé le 8 janvier sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de résolution demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la privatisation des concessions d’autoroutes.

Comment en êtes-vous venue à considérer qu’il était important que la représentation nationale se saisisse de la question des concessions d’autoroutes ?

Je suis élue locale depuis 2008 à Nice, où nous avons la particularité d’avoir une sorte de péage urbain. Pour aller de l’ouest au nord de la ville, il faut payer, alors qu’ailleurs, les tronçons d’autoroutes sont gratuits autour des grandes villes françaises. Ce péage est une question très sensible car tous les habitants du secteur qui sont contraints de se déplacer avec leur voiture, notamment pour aller travailler, doivent payer. Depuis plusieurs années, avec le maire de Nice, Christian Estrosi, nous demandons sa suppression. En vain.

Sur les autoroutes du littoral méditerranéen, les gilets jaunes ont occupé des péages et parfois levé les barrières. Du coup, les automobilistes qui arrivaient là sont passés sans pouvoir payer. La société d’autoroutes a alors annoncé qu’elle allait utiliser les images prises par les caméras du péage pour relever les plaques d’immatriculation des voitures qui étaient passées et envoyer aux automobilistes concernés des injonctions à payer. Je me suis demandé comment une société privée pouvait utiliser le fichier des plaques d’immatriculation, qui appartient à l’Etat et qui est soumis au contrôle de la Cnil, pour identifier des automobilistes. Cela m’a incitée à regarder de près la question des concessions autoroutières. J’ai effectué des recherches pour regarder ce qu’il s’était passé depuis leur privatisation, en 2006. J’ai découvert qu’il y a eu une succession d’abus.

Qu’est-ce qui vous a interpellée dans ce dossier ?

L’incessante hausse des prix des péages est une question centrale. L’affaire a été mal engagée au départ, lors de la privatisation décidée par le gouvernement Villepin : les contrats qui lient l’Etat et les concessionnaires ont été établis sur des bases qui n’étaient pas très équitables. Ils favorisent clairement les concessionnaires au détriment de l’Etat, autrement dit de l’intérêt général et des automobilistes. On aurait pu espérer qu’avec l’alternance politique les choses allaient être revues. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Après l’arrivée au pouvoir de François Hollande, sa ministre en charge du dossier, Ségolène Royal, a fait de grandes déclarations contre les coûts que représentaient les autoroutes dans le budget des personnes amenées à se déplacer. Et elle a annoncé un gel des prix 2015. Mais après coup, on découvrira qu’en contrepartie de cette mesure, que l’on avait crue favorable aux consommateurs, les sociétés d’autoroutes ont obtenu une prolongation de plusieurs années de la durée de leurs concessions et qu’en plus elles pourraient pratiquer des hausses de tarifs additionnelles entre 2019 et 2023. Ce qui va coûter 500 millions d’euros de plus aux automobilistes. Non seulement les contrats initiaux défavorables à l’intérêt général n’ont pas été modifiés, mais de plus, on a rajouté des mesures avantageuses pour les sociétés d’autoroutes. Cet accord a été négocié par trois personnes : Ségolène Royal, qui était ministre de l’Environnement, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, et Elisabeth Borne, aujourd’hui ministre des Transports, qui était à l’époque directrice de cabinet de Ségolène Royal.

Que dites-vous de cet accord ?

Cet accord est scandaleux. Quand les parlementaires socialistes, dont le parti était pourtant au pouvoir à l’époque, ont demandé à avoir accès aux documents, le gouvernement leur a opposé le secret. Depuis quand des décisions gouvernementales concernant l’intérêt général relèvent-elles du secret ? On a voulu cacher les choses. Dans cette affaire, il y a une omertà sur les négociations menées et les documents.

Qu’en est-il de votre demande de résolution ?

Une trentaine de députés de tous bords ont signé ma proposition de résolution en vue de constituer une commission d’enquête. Il s’agit d’un sujet d’intérêt général, donc il n’y a pas de clivages partisans sur le sujet. Le fait que des députés LREM se soient mobilisés peut nous laisser espérer sa mise en place. Le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, a saisi le ministère de la Justice afin de savoir si des poursuites judiciaires étaient engagées contre des sociétés concessionnaires. Si tel est le cas, une commission d’enquête ne pourra pas être mise en place. Nous attendons sa réponse.

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